Journaliste, pionnière de la lutte politique au pays de Paul Biya, présidente de la branche camerounaise de l’ONG Transparency international et combattante des droits et des libertés, Henriette Ekwe était l’invité de l’émission dominicale ‘’Une semaine un dimanche’’ du dimanche 6 mai 2018 diffusée sur radio Equinoxe et présentée par Duval Fangoua. Au cours de cette émission la lauréate du prix international du courage féminin décerné par le département d’état américain qui est restée fidèle à ses convictions politiques a échangé avec le présentateur sur la question de la liberté de la presse et l’actualité politique au Cameroun.
C’est une femme en pleine forme que les auditeurs ont écouté le dimanche 6mai de l’année courante, jour de la célébration de la journée internationale de la presse. En effet, victime d’un grave accident de la circulation en novembre 2015, Henriette Ekwe a eu la vie sauve grâce à son chirurgien en service à l’hôpital général de Douala. «Ça été un grand moment où moi-même je n’étais pas sure de vivre.» Déclare t-elle. Elle n’a pas hésité à témoigner sa gratitude au gouvernement camerounais. « Nous savons que généralement du temps de la dictature quand vous entriez dans une structure d’état, on pouvait aussi vous achever. Sa peut arriver, mais là sa n’a pas été le cas.» Confie t-elle. Après son rétablissement de cet accident qui est désormais un triste souvenir, la militante des droits et des libertés a fait son come-back médiatique sur la chaine privée radio Equinoxe basée à Douala au Cameroun.
Parlant de la liberté de la presse au Cameroun, l’ancienne journaliste a fait des révélations troublantes.
La liberté de la presse au Cameroun est le fruit d’un long combat. Les journalistes camerounais dans les années 90 étaient pratiquement martyrisés. « Aujourd’hui les journalistes oublient ce que la presse a subi au début des années 90, 91. C’est-à dire à l’ouverture démocratique. Il y a beaucoup de journalistes qui ont payés par la répression. D’ailleurs Sévérin Tchounkeu a été vraiment bastonné. A l’époque il y avait au commissariat un monsieur qui était très violent et qui mettait… Il y avait un trou avec la boue et on mettait de l’acide. Donc quand on n’a fini de vous tabasser on vous met dans l’acide ; donc vous avez les brulures sur tout le corps (Rire). Il y a eu des descentes musclées dans les rédactions comme à la Dépêche je crois. Pour dire que la liberté de la presse a été conquise de haute lutte, vraiment de haute lutte par tous les journalistes. » Relate Henriette Ekwé. Dans la foulée elle affirme « Il ne faut pas oublier que quand les journaux à l’époque qui étaient donc les plus avancés, il n’y avait pas encore de radios, ni rien du tout malgré les dispositions des lois sociales du 19 décembre 1990. Il a fallu qu’on arrive à 2000 pour qu’on commence à avoir des radios qui sont des radios indépendantes. Figurez-vous que par exemple quand vous déviez publier un journal, vous ameniez la murasse au secrétaire chez le gouverneur qui observait tout ce que vous avez écrit et il mettait des papiers au pilori. Et souvent il y avait une seule imprimerie à l’époque. Il y avait des gendarmes aussi bien devant que derrière. Il y a eu un temps où les grands journaux comme le Messager, La Nouvelle Expression et Chalenge Hebdo étaient obligés d’aller au Nigéria pour… Bref je voulais rappeler sa pour que les journalistes sachent qu’ on vient de très loin. Ce n’est pas tombé comme sa ! Il y a des gens qui se sont battus. Il y a eu la répression etc. Il a fallu attendre 1996 pour qu’on lève cette censure avant l’impression d’un journal. Donc il y a eu des avancées bien sur, il y a eu beaucoup d’avancées. Mais ces avancées n’ont pas été faciles. Ces avancées n’ont pas été faciles parce que nous avons une épée de Damoclès où vous devez faire la preuve de ce que vous avez écrit pratiquement cinq jours. Et si vous ne le faites pas, vous avez d’énormes problèmes. Evidemment là-dessus aussi ce sont les grands qui l’emportaient. Parce que le journaliste était un peu écrabouillé. Il est arrivé que les journalistes je crois David N. aille à un procès avec un enregistrement et monsieur Kodock (ancien ministre d’Etat chargé de la planification, de la programmation, du développement et de l’aménagement territoriale Ndlr) à l’époque il est parti, il n’est plus avec nous avait nié que ce n’était pas sa voix. Il y a eu beaucoup de chose comme sa. Alors bien sûr on encadre beaucoup. Le journalisme des années 90 était un journalisme farouchement militant. Mais on n’a inculqué la mauvaise conscience aux journalistes en leur disant non, non ce n’est pas professionnel. Dans tous les pays du monde lorsqu’il y a des luttes politiques, elles transparaissent dans la presse. Cela a été comme sa à la libération en France lorsque la plupart des journaux ont été crées en 1944. Et cela a été le cas dans plusieurs pays, par exemple quand le royaume uni était divisé sur la question de l’intégration du marché commun européen. (…)»
Poursuivant son propos, Henriette Ekwé laisse entendre qu’il n’est pas normal que l’on empêche aux journalistes de s’intéresser à la crise anglophone. « Sa peut arriver à tout moment qu’on ouvre le débat sur la forme de l’Etat quitte à le confirmer par un référendum. Mais on ne peut pas dire dans un Cameroun démocratique que vous ne devez pas évoquer tel terme parce que c’est dépassé. » Explique t-elle. Elle déplore cependant les dérives liées au traitement fait par un média de cette actualité via son animateur qui a taxé les anglophones de cancrelat… Pourquoi la décentralisation n’avance pas ? S’interroge t-elle. Elle a également déploré la situation des journalistes emprisonnés dans le cadre de cette crise sous l’étiquette d’activiste politique. D’après elle il n’existe pas de différence entre l’activisme politique et la pratique du journalisme. « Je rappelle quand même que la plupart des journalistes ont une opinion. » Précise t-elle. Selon Henriette Ekwe au regard de loi anti-terroriste de 2014 on n’a l’impression que la répression a été intensifiée pour museler les journalistes. Il faut souligner que dans le rapport publié par Reporter sans frontière à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la liberté de la presse dans le monde, le Cameroun occupe le 129e rang sur 180 nations. Un rang qui ne plaide pas en faveur du Cameroun, au regard du nombre journalistes incarcérés ou traduits devant le tribunal militaire dans le cadre de leur profession tels que Rodrigue Tongué, Baba Wamé… « Personne dans notre presse n’est contre notre pays. On n’est des grands patriotes ! » Souligne la militante des droits et des libertés. Reporter sans frontière protège les journalistes. Conclue t-elle.
La question du financement de la presse a également été évoquée. « Il faut quand même donner une aide décente. Quand on compare des pays comme la Côte-d’Ivoire ou le Gabon… En cote d’Ivoire on vous demande de donner votre numéro de compte en banque, et on vous transfert des millions. Il y a des journaux qui reçoivent pratiquement 200 millions, 300 millions. Mais on force aussi les patrons de presse à donner des salaires corrects. Avant il y a une dizaine d’années quand vous entriez dans une rédaction, vous aviez droit à un salaire de 150 000Fcfa. Aujourd’hui il est passé à 250 000F compte tenu du coût de la vie là-bas. Mais sa ne va pas pour la presse on ne donne rien. C’est des miettes ! » Développe t-elle. En effet, la baisse drastique du montant de l’aide publique à la presse privée (l’aide à la presse privée est passée de 240 millions Fcfa à 216 millions Fcfa alors que au Gabon cette aide est passée de 500 millions à 2 milliards Fcfa Ndlr) constitue un grand handicap pour le développement et la liberté de la presse et explique la clochardisation du journaliste camerounais par les patrons de presse. «J’ai eu des rédacteurs en chef qui se sont faits agresser parce qu’ils habitaient au fin fond de village. On n’imagine pas un journaliste…Alors qu’à l’époque, je parle des années 2000, un rédacteur en chef ivoirien avait plus de 850 000Fcfa par mois et pratiquement tous les journalistes avaient des voitures. Ce n’est pas le cas. Donc il faut vraiment faire attention pour que non seulement qu’on ne se mette pas à insulter les journalistes en disant que c’est des souffreteux etc. Et c’est quand on constate la somme qui doit être donné aux médias est infime. Evidement sa se ressent sur les salaires des journalistes. » Amplifie t-elle. Conséquence dans un contexte où les publicités se font rares, les médias se battent comme ils peuvent pour trouver des sources de financement furent-elles occultes ou étrangères (les sources de financement extérieurs sont interdites par les autorités. Ndlr). « L’Etat sait bien que cette cagnotte est ridicule. Quand on donne à un journal, un quotidien 4 millions de francs par an c’est vraiment d’un ridicule achevé. Parce que ce n’est pas possible de survivre dans ces conditions là. Donc sa vous demande à avoir soit des publicités qui sont devenues rares, parce que les entreprises aussi donnent moins de publicités et de moins en moins. Ils (médias publics) ont le monopole de toutes les publicités d’envergure et notamment les publicités institutionnelles. C’est un manque à gagner terrible pour la presse écrite notamment y compris même pour la presse parlée ou audiovisuelle d’une manière générale. C’est une entrave très grave pour la démocratie et l’Etat de droit. Sa veut dire que les puissants vont pouvoir s’exprimer aisément et les autres évidements ils font comme ils peuvent. Et on se moque des journalistes, on les humilie, on n’en fait des petits clochards affamés, alors que ce sont des journalistes qui ont de la passion pour leur métier. C’est pour sa qu’ils ne changent non plus de métier hein. Bon il y en a qui se sont exercés dans les plantations au village etc. Mais on n’aimerait pouvoir vivre de sa plume, ou de son micro (Rire). » Regrette t-elle.
Dans la deuxième partie de l’émission, l’actualité de politique du Cameroun a été évoquée en faisant un zoom sur la contribution des femmes. Nous parlerons de cette question dans un deuxième article consacré à l’entretien entre la vieille journaliste et notre confrère Duval Fangoua.
Rodrigue Djengoué.